Interview au journal de 20 heures de France 2

Nous accueillons Eva Joly, dont l’absence depuis la semaine dernière, depuis l’accord entre les Verts et le Parti socialiste, a fait naître le trouble, et même le doute, y compris dans vos propres rangs. Vous revenez donc sur le devant de la scène ce soir. Êtes-vous toujours candidate à l’élection présidentielle ?

Je n’ai jamais douté du fait que je serais candidate jusqu’au bout, et ma détermination est plus grande que jamais. Moi je porte un projet, un véritable projet de civilisation, par un mandat qui m’a été donné, par tous ceux qui ont voté aux primaires. Cette détermination là, elle est vraiment bien solide.

On va parler de ce que vous pensez de cet accord, de savoir si c’est cet accord qui a motivé votre silence. Mais d’abord, est-ce que vous avez eu un moment de doute, un coup de blues en quelque sorte, est-ce que vous vous êtes interrogée sur cette candidature ?

J’ai été très choquée par l’intervention directe d’une société qui ne porte pas l’intérêt général, Areva, qui s’est permise d’obtenir des socialistes la rature d’un paragraphe qui avait été signé, le paragraphe sur le MOX. Cela, pour moi, est totalement inadmissible, voir le lobby intervenir directement dans la vie politique, dans un accord entre partis politiques. Je me suis battue toute ma vie contre les multinationales et leurs lobbyistes, et voir qu’ils avaient un accès direct pour modifier notre accord, cela a été pour moi absolument insupportable.

C’est anormal que des dirigeants politiques de premier plan puissent consulter y compris les groupes qui sont après tout les fers de lance de l’industrie française ?

Ça, c’est le langage correct, on « consulte ». Mais justement, ça n’était pas une consultation ; ils ont modifié l’accord.

Personne n’obligeait le Parti socialiste à le faire.

Mais ils l’ont fait, après la signature de l’accord avec nous, Europe Écologie-Les Verts. Et moi, je ne voulais pas intervenir dans cette période-là, parce que j’étais très en colère, et j’espérais bien que les négociateurs allaient le rétablir.

Vous étiez en colère, ou vous étiez en porte-à-faux ?

J’étais en colère, et c’est vrai que cet accord ne me faisait pas plaisir ; il ne me fait pas rêver.

Au point peut-être de vous inciter à vous poser la question de continuer dans ces conditions-là ?

Non, mon objectif à moi était vraiment de réfléchir sur le sens de l’action politique dans ces conditions-là. Mon objectif est vraiment de restaurer la confiance entre les citoyens et les politiques. Je ne suis pas une femme politicienne, je viens de la société civile. Je porte des valeurs d’éthique, de rigueur peut-être, et aussi de lutte contre l’injustice. Il me semblait que toutes ces valeurs-là étaient bafouées à ce moment. Et je n’ai pas voulu que ma parole puisse être utilisée dans cet accord.

Vous en voulez à François Hollande ?

J’en veux à François Hollande d’avoir cédé aussi visiblement, aussi directement, au lobby du nucléaire. Monsieur Pujadas, c’est exactement comme si dans votre rédaction le matin, le porte-parole d’Areva se présentait et vous dictait ce qu’il fallait que vous disiez le soir à propos du nucléaire. Je pense que vous êtes attaché à l’indépendance de la presse, je suis attachée à l’indépendance des hommes et des femmes politiques.

Vous avez eu l’occasion d’échanger avec François Hollande et de lui dire ce que vous nous dîtes ce soir ?

Non, pas encore.

Vous le souhaitez ?

Nous aurons sûrement l’occasion de le faire, mais pour moi, la séquence des négociations entre partis politiques est terminée, maintenant c’est la séquence des candidats à la présidentielle.

Je vous demandais si vous en vouliez à François Hollande, est-ce que vous en voulez à Cécile Duflot ; c’est elle qui a signé cet accord, et dans ces conditions ?

Je trouve que les négociations ont été remarquablement bien menées ; il y a un socle qui fait l’accord commun pour les élections législatives. Cet accord est indispensable pour un petit parti, et c’est indispensable pour battre la droite. Je sais gré à Cécile Duflot d’avoir redressé la barre, car finalement le passage qui avait été enlevé a été réintégré par l’effort d’EELV.

Vous parlez d’éthique, Eva Joly. Je vous mets en face d’une de vos déclarations, pendant les négociations de cet accord, où vous disiez clairement : « Si le Parti socialiste n’indique pas qu’il souhaite renoncer à terme complètement au nucléaire et qu’il n’indique pas qu’il souhaite dans l’immédiat à l’EPR de Flamanville, il n’y aura pas d’accord ». Ça ressemblait à un ultimatum. Finalement, le Parti socialiste n’a renoncé ni à l’un, ni à l’autre, et il y a un accord. Alors est-ce qu’il n’y a pas contradiction entre vos déclarations et ce qu’il s’est passé ?

J’ai essayé de peser sur ces négociations, j’ai dit exactement le fond de ma pensée, et ce qui est aussi dans notre programme chez EELV. La sortie du nucléaire, pour moi, c’est une obligation morale. J’invite vraiment toute personne en responsabilité à aller comme moi à Fukushima, discuter avec les mères qui élèvent les enfants sur des territoires pollués, contaminés, pour comprendre que cela ne doit jamais arriver à mon pays, à la France. Je veux vraiment éviter cela, donc je continue à porter la sortie du nucléaire dans ma campagne, et je dis que c’est aux Français de le décider. Mais l’avenir de nos enfants, leur sécurité, dépend du fait que nous sortions du nucléaire. Le nucléaire est une énergie du passé, une énergie archaïque, une énergie dangereuse.

Mais pour que les choses soient bien claires, cela signifie que vous ne vous reconnaissez pas dans cet accord, vous ne vous sentez pas engagée par cet accord.

J’ai dit que cet accord ne me faisait pas rêver, et je pense qu’il ne ferait pas non plus rêver les citoyens. Mais c’est à moi de porter notre projet, qui ne porte pas que sur le nucléaire, qui porte aussi sur la République exemplaire, sur la lutte contre le changement climatique, qui comporte des volets sur la lutte pour la biodiversité, et surtout pour la justice sociale. Il faut absolument que les citoyens comprennent que l’austérité n’est pas une fatalité, qu’il y a d’autres façons de faire.

Autant d’éléments, en tout cas pour certains d’entre eux, qui sont dans cet accord. Est-ce que si la gauche l’emportait dans cette élection présidentielle, vous pourriez être ministre dans un gouvernement avec François Hollande comme président de la République ?

Aujourd’hui cette question est complètement prématurée. Je suis candidate à la présidence de la République, et j’entends faire un bon score, et peut-être que c’est François Hollande qui sera mon Premier ministre.

Mais vous pourriez dire en tout cas « s’il l’emporte, il est hors de question que je sois ministre dans un gouvernement de cette nature ».

Je ne dis pas cela, je dis simplement que cette question est prématurée.

Deux questions encore à vous poser, des questions d’actualité. Je vous propose de regarder une photo d’abord : vous aux côtés de Danielle Mitterrand. Vous avez partagé certains de ses combats, encore tout récemment. Quelle réaction après sa disparition ?

Je suis très triste, j’ai l’impression de perdre quelqu’un de ma famille. C’est vraiment une femme magnifique, une militante, et elle a eu une vie vraiment exemplaire pour nous tous et toutes. Elle est morte militante. Elle a encore fait des démonstrations contre les gaz de schiste, elle est venue au Parlement européen nous parler du combat pour l’eau. Et Danielle Mitterrand, c’est une femme qui combattait les lobbys, qui combattait l’injustice partout où elle se trouvait, c’est une femme magnifique.

Dernière question, et c’est aussi à l’ex-juge que je m’adresse. Il y a un meurtre qui a beaucoup ému les Français ces derniers jours, celui de la jeune Agnès au Chambon-sur-Lignon. Est-ce que vous estimez vous-même qu’il y a eu défaillance de la justice ?

J’ai été substitut des mineurs pendant plusieurs années, et j’ai été confrontée à ces problèmes, et je sais combien ces décisions sont difficiles à prendre. Je voudrais aussi dire toute ma compassion pour les amis, la famille d’Agnès. C’est un crime horrible et terrible.

Mais défaillance ou pas défaillance ?

Vous savez, l’idée qu’on puisse avoir zéro crime, qu’on puisse vivre dans une société où grâce aux textes, aux institutions, il n’y aurait plus jamais de crime, c’est cette idée qui est fausse. Nous avons eu sept lois sur la récidive ; chaque fois qu’il y a un nouveau fait divers, il y a une nouvelle loi. Je voudrais dire que j’ai connu un temps, comme substitut pour mineurs, où il y avait une brigade des mineurs qui était dans les rues, qui repérait visuellement les enfants en difficulté, où il y avait des services d’action éducatifs qui aidaient les magistrats à prendre en charge les enfants en danger, et qui intervenaient dans les familles pour empêcher la folie de s’installer. C’est la seule ressource que nous avons, et cela a été supprimé pour des raisons d’efficacité. Donc penser qu’encore une énième loi pourrait régler le problème, pour moi c’est faux.

Merci Eva Joly d’avoir répondu à nos questions ce soir.

Remonter