Eva Joly répond au questionnaire de la Société des Agrégés

Société des Agrégés

1. La transmission des savoirs : l’essence de l’enseignement

 

L’intérêt du métier de professeur est d’être responsable de la transmission des savoirs, par laquelle il contribue à l’éducation des jeunes. Cela implique de la part du professeur un investissement aussi bien dans la réflexion collective sur les contenus à transmettre, les méthodes à utiliser, les cadres (horaires, modes de regroupement des élèves, procédures de différenciation) à mettre en place, les modalités d’évaluation que dans l’accompagnement des élèves dans l’apprentissage de ces savoirs, leur évaluation et le suivi de leur travail. Un débat national s’impose sur la redéfinition des obligations de service, pour que celles-ci ne se limitent plus à un nombre hebdomadaire d’heure de présence devant des « classes ». C’est à cette condition que le métier enseignant pourra exister dans toute sa richesse.

 

2. La liberté pédagogique du professeur : une nécessité

 

En tant que cadre supérieur, le professeur a des responsabilités : il prend en charge au sein d’une équipe un ensemble d’élèves. Cela suppose bien évidemment qu’il inscrive son enseignement dans un projet collectif pour la définition duquel il a joué un rôle central. Ce travail collectif doit être facilité par l’existence d’instances de concertation. Contre des programmes qui définissent souvent dans leurs moindres détails les enseignements et les méthodes, les écologistes préconisent de laisser aux équipes une marge suffisante (cf. ci-après), pour permettre aux professeurs de regagner la maîtrise de leur métier, qui a trop longtemps été conçu dans une perspective applicationniste, voire tayloriste.

 

3. Une formation initiale à revoir

 

La suppression de la formation des enseignants par la droite est un scandale inouï. Prendre prétexte des dysfonctionnements de l’ancien système pour contester le principe d’une formation professionnelle est faire preuve d’une grave méconnaissance des enjeux de l’enseignement. La formation des enseignants doit s’effectuer dans le cadre de masters d’enseignement qui articuleraient, après un concours d’entrée, formation disciplinaire par la recherche (réalisation d’un travail d’étude et de recherche) et formation professionnelle en alternance. Pour les candidats déjà titulaires d’un master ou d’une expérience de l’enseignement, des concours spécifiques permettraient d’obtenir ce master en un an.

 

4. Des programmes nationaux

 

L’existence de programmes scolaires nationaux, voire européens, conditionne l’existence de la République, qui n’aurait pas de sens si l’institution scolaire éclatait en multiples communautés. Cela n’implique pas nécessairement que ces programmes prescrivent, heure par heure et discipline par discipline, ce que les enseignants doivent faire, à moins de ne pas leur faire confiance. Il faut clarifier le rôle des différents niveaux de décision : à l’Etat la fixation des finalités, d’objectifs transdisciplinaires de cycles pluriannuels et le contrôle ; aux acteurs de terrain la responsabilité de la détermination des meilleurs moyens (en terme d’horaires, de regroupements d’élèves, de contenus disciplinaires) permettant de les atteindre, compte tenu des réalités locales. On sait depuis longtemps que rien n’est plus inégalitaire que l’égalité formelle : donner la même chose à des enfants différents ne peut qu’accroître leurs différences. Contre le pilotage par les procédures qui prévaut aujourd’hui, nous préconisons un pilotage par les finalités, l’important étant d’amener tous les élèves au même point, au lieu de vouloir les faire passer tous par le même chemin, au risque d’en abandonner en route.

 

5. Le rôle de l’inspection générale

 

La priorité sur ce point est que l’inspection générale renoue avec sa vocation originelle qui était de s’appuyer sur les compétences élevées de ses membres pour participer au pilotage du système éducatif indépendamment de l’appartenance des uns ou des autres à telle ou telle discipline. Une vue générale sur l’institution scolaire est nécessaire ; l’inspection générale fait partie des instances qui sont les mieux placées pour la porter.

 

6. L’organisation du baccalauréat

 

Le baccalauréat, tel qu’il fonctionne, n’est plus un outil de sélection (compte tenu du taux très élevé de réussite) et a donc une utilité sociale limitée, malgré un coût élevé, en terme de contraintes organisationnelles, de blocage des établissements scolaires, de charge de travail pour les professeurs. Plus grave, il oriente toute la pédagogie en amont en survalorisant certains compétences (en particulier de mémorisation et de restitution) au détriment d’autres, pourtant particulièrement importantes dans le supérieur, comme la recherche documentaire, la créativité, le travail en équipe. Autant pour en simplifier l’organisation que pour lui donner un sens plus fort, les écologistes demandent qu’une partie de l’examen soit passé au cours de la scolarité au lycée sous la forme d’unités capitalisables, et que les épreuves finales consistent dans la présentation de travaux individuels et/ou collectifs et dans un travail transdisciplinaire à réaliser en temps limité, avec accès à une documentation.

 

7. Le niveau du baccalauréat

 

Etroitement articulé à la scolarité au lycée, le baccalauréat doit être un examen de fin d’études secondaires. L’orientation dans le supérieur doit donc être indépendante de la scolarité dans le secondaire : il importe de mettre fin à la course à la « bonne option » dès la seconde.

 

8. Les conditions d’étude des élèves

 

L’accroissement de la présence humaine dans les établissements est une nécessité et les choix étroitement budgétaires du parti au pouvoir sont irresponsables. Mais la sérennité et le climat de confiance au sein des établissements scolaires dépendent également et avant tout de la cohésion de la communauté éducative. Il est capital que l’ensemble des personnels travaillent en concertation, dans des écoles où chaque acteur est conscient de sa part de responsabilité collective. Des relations suivies avec les parents, l’implication de ceux-ci dans la vie quotidienne de l’établissement, la responsabilisation des élèves, l’ouverture sur l’environnement sont des leviers essentiels du rétablissement de relations saines entre toutes les personnes qui le fréquentent, comme l’ont montré les études sur les écoles qui ont réussi à réduire les tensions quotidiennes et les incivilités.

 

9. Le statut des professeurs : la garantie de l’indépendance

 

Il est hors de question de remettre en cause le statut de fonctionnaire des professeurs, qui est en effet la garantie de leur indépendance. De ce point de vue, l’accroissement de la précarité et le remplacement des postes par des heures supplémentaires, cyniquement assumés par le pouvoir, sont scandaleux et doivent être combattus en priorité par la majorité qui sortira des urnes en 2012. Indépendamment de la question du statut, le service des professeurs doit inclure explicitement un temps de présence dans l’établissement qui ne se limite pas à des « cours » traditionnels : c’est la condition de la reconnaissance d’une part de leur métier devenue essentielle, que tous pratiquent déjà avec dévouement, dans l’indifférence générale.

 

10. Le recrutement par concours : le fondement de l’égalité

 

Le maintien des concours comme voie unique de recrutement des enseignants ne signifie pas que ceux-ci ne doivent pas évoluer. Il faut en effet que ceux-ci incluent une épreuve montrant que le candidat a réellement réfléchi sur la pratique et les enjeux du métier auquel il aspire au-delà de ses stricts aspects académiques, si essentiels soient-ils. L’entretien pratiqué depuis longtemps (dans le consensus général) dans les concours de recrutement de conseillers principaux d’éducation pourrait servir de modèle.

 

12. Pour un véritable mouvement national

 

Le mouvement national, « déconcentré » ou non, se débat dans une douloureuse contradiction : en garantissant l »égalité de tous les enseignants, il condamne les débutants aux postes les plus difficiles et favorise le « turn-over » dans les établissements les plus exposés. Le système d’affectation doit être réformé afin de favoriser la constitution d’équipes stables autour de projets collectifs, la sécurisation du parcours des enseignants débutants ainsi que la mobilité des professeurs expérimentés vers la prise de responsabilités et les postes où leurs compétences seront les plus utiles. La réflexion sur le pilotage financier des établissements doit par ailleurs s’appuyer sur leur budget consolidé , qui tient compte des rémunérations des enseignants, fortement différenciées entre les établissements les plus en difficultés et ceux qui ont un recrutement plus protégé.

 

13. L’évaluation des professeurs : la nécessité de recours

 

L’évaluation des enseignants doit être un outil pour définir leurs besoins en formation. S’il est normal que le chef d’établissement joue là-dessus un rôle qui aille au-delà d’appréciations très convenues (et soigneusement encadrée par une péréquation tatillonne) sur le « rayonnement » ou leur « assiduité », leur confier la responsabilité exclusive de cette évaluation est inadmissible. Dans des établissements au fonctionnement plus collectif, il faudrait au moins qu’une partie de l’équipe de direction soit une émanation de l’équipe pédagogique, mais aussi que l’évaluation par l’inspection fasse une place réelle à l’appréciation du fonctionnement général de l’établissement et de chacune de ses équipes.

 

14. Protection des professeurs, conditions de travail

 

Il n’est pas normal que les professeurs soient l’une des professions les moins bien suivies par la médecine du travail. Compte tenu de la difficulté du métier et de la tension nerveuse qu’il comporte, un minimum de soutien et d’encadrement ainsi qu’une véritable politique sociale en direction des personnels serait la moindre des reconnaissances que la nation pourrait leur témoigner.

 

15, 16, 17, 18. Le rôle de l’agrégation dans le système éducatif

 

L’excellence du niveau des professeurs agrégés impose de les reconnaître en tant que tels : ils doivent réellement jouer un rôle spécifique dans le système éducatif. Au-delà de l’affectation de certains d’entre eux dans les premiers cycles universitaires, qui paraît logique et doit être encouragée, leur fonction dans le secondaire doit être précisée : le fait qu’ils effectuent le même travail que les professeurs certifiés pour un salaire supérieur et des obligations de service moindres semble être surtout justifié au titre de récompense pour avoir passé un concours plus difficile. Les agrégés pourraient au contraire faire un travail différent : dans une école fondamentale, qui scolarise tous les enfants de six à seize ans sans sélection ni orientation, la nécessité de confronter les élèves (en particulier entre 10 et 13 ans) à un nombre moins grand de professeurs obligerait ces derniers à élargir leur compétence disciplinaire. Cette évolution n’aurait d’intérêt qu’à la condition que dans chaque établissement, des référents disciplinaires aux compétences reconnues coordonnent le travail d’équipe, gèrent la documentation et définissent les besoins de formation. Les titulaires de l’agrégation trouveraient là, en lien avec l’inspection, des responsabilités correspondant réellement à leurs compétences et seraient vraiment les garants du haut niveau disciplinaire de l’enseignement pratiqué dans chaque établissement. En toute logique, ces postes seraient réservés à des professeurs expérimentés, ce qui impliquerait de limiter le concours d’agrégation à sa variante « interne ».

 

19. Quelle est votre position sur les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ? Considérez-vous qu’elles doivent conserver la place qui est la leur actuellement dans le système français ?

 

Les CPGE sont l’ultime avatar du mythe de la méritocratie à la française. Censés être un outil de promotion sociale (recrutement sur le seul mérite scolaire), les prépas sont devenus au contraire un outil de reproduction sociale : à résultats égaux, les enfants d’ouvriers sont 2 fois moins nombreux à tenter d’y entrer. Elles privent les licences universitaires des meilleurs bacheliers et, en amenant mécaniquement leurs élèves vers les écoles, les détournent de la formation par la recherche. Enfin, les effets délétères de ce système pour les étudiants sont aujourd’hui reconnus (évaluation très péjorative de leurs compétences,  hyper-investissement intellectuel au détriment de toute activité extra-scolaire) ; et les bénéfices souvent mis en avant (dépassement de soi, ascèse) justifient difficilement cette souffrance et cette mise entre parenthèses de leur évolution personnelle.

 

Pour les écologistes, les CPGE ont vocation à s’effacer devant des licences refondées, qui sauront en reprendre certains points forts pédagogiques : le taux d’encadrement, l’accompagnement personnalisé, la pluridisciplinarité. Au sein de ces licences, la possibilité de préparer davantage de modules ou de dégager du temps pour l’initiation précoce à la recherche permettra aux éléments les plus brillants de donner le meilleur d’eux-même. La réforme progressive des modes de sélection des écoles (passage du concours au dossier anonyme) rendra de toute manière obsolète la notion même de classe préparatoire.

 

Une telle réforme doit bien entendu offrir des évolutions attrayantes aux professeurs de prépas, par exemple en leur offrant la possibilité de devenir des enseignants-chercheurs à part entière (et la possibilité de préparer un doctorat pour ceux qui n’en seraient pas encore titulaires), ou en leur proposant un statut universitaire approprié sur la base d’un service aménagé.

 

 

20. Pensez-vous que la « discrimination positive » appliquée à l’accès à certaines filières de l’enseignement supérieur français soit une mesure équitable pour y instaurer la diversité sociale ?

 

L’enseignement supérieur s’est incontestablement massifié au cours des « trente glorieuses » et des années 80 ; pour autant, sa démocratisation est loin d’être acquise. Le rôle discriminant que jouent les inégalités sociales tout au long de la scolarité se renforce encore dans le supérieur. En France tout particulièrement, la perspective de s’engager dans des études longues ne se conçoit pas de la même manière selon qu’on peut compter ou pas sur une famille pour pouvoir vivre et étudier dans de bonnes conditions. Ainsi, les enfants des classes supérieures restent particulièrement sur-représentés dans les études longues et recherchées.

 

Cette ségrégation sociale qui ne dit pas son nom doit être combattue avec vigueur. Les opérations ponctuelles de discrimination positive ne sont pas à la hauteur de l’enjeu : en aidant une fraction très brillante des quartiers populaires à réussir, on accepte que perdurent les discriminations pour tous les autres. La réponse doit être d’une toute autre ampleur : les jeunes issus des classes populaires et des classes moyennes n’ont pas à renoncer à entreprendre des études longues pour des motifs purement pécuniaires.

 

Le système d’aide actuel (bourses, aides directes au logement – les « APL », et aide fiscale aux ménages, chacun voisin de 1,1 G€ par an) n’est pas assez efficace : outre les renoncements purs et simples, la part d’étudiants travaillant en parallèle à leurs études pour subvenir à leurs besoins est élevée, ce qui impacte négativement leurs chances de réussite. Il est également injuste : la demi-part fiscale avantage fortement les ménages très aisés, tandis que les bourses échappent aux enfants des classes moyennes. Une mesure d’urgence transitoire serait de rendre le système des bourses plus généreux, avec un relèvement des montants et la mise en place d’un mécanisme d’indexation sur l’inflation. Un complément de revenu pourrait être obtenu dans le cadre d’activités d’intérêt général dans le milieu de formation (bibliothèques, tutorat…). Mais, dans une logique d’autonomie des jeunes adultes, leurs choix de vie ne devraient pas dépendre des moyens et des arbitrages parentaux. Le Revenu d’autonomie venant remplacer à la fois la demi-part et les bourses apparaît comme la meilleure piste pour assurer que chacun dispose des conditions matérielles permettant la réussite. Ce RE pourrait également être un facteur facilitant la reprise d’études après un temps de vie professionnelle.

 

Le logement étudiant est l’autre clé sociale d’une démocratisation effective de l’enseignement supérieur. En plus de l’encadrement des loyers qui bénéficieront surtout aux locataires de petites surfaces, et donc aux étudiants, l »urgence est de relancer de véritables programmes de construction, en sus des rénovations. Une telle mesure aurait également des effets positifs sur l’ensemble du parc locatif, en diminuant la pression sur la demande de petites surfaces et donc en permettant aux jeunes débutant leur vie professionnelle de se loger dans de meilleures conditions.

 

21. Comment expliquez-vous les échecs nombreux dans le premier cycle universitaire ? Quels remèdes pensez-vous y apporter ?

 

La licence, formation par nature exigeante puisque demandant une forte autonomie et la capacité à se confronter à des savoirs abstraits, est devenue la voiture-balai du supérieur, puisqu’elle est la seule à ne pas sélectionner ses étudiants, et doit composer avec les moyens les plus réduits des filières post-bacs. Dans ces conditions, la faiblesse du taux de diplômés (38% en 3 ans, 53% en 4 ans) n’a rien de surprenant.

 

Une bonne part de l’échec en premier cycle universitaire provient d’un défaut d’orientation car il concerne les bacheliers technologiques qui s’inscrivent en licence faute d’avoir trouvé une place en IUT ou BTS. Or ces formations leur étaient initialement destinées, même si elles sont aujourd’hui très recherchées par les bacheliers généraux. La mise en place de quotas dans les filières courtes (par exemple 50% et 25% de bacs généraux respectivement dans les IUT et BTS) serait un moyen de limiter les orientations par défaut vers les licences.

 

 

Les méthodes pédagogiques doivent incontestablement évoluer pour aller vers davantage d’encadrement et d’accompagnement : l’apprentissage de l’autonomie est par nature progressif. Un premier impératif est de mieux accueillir les étudiants en première année de chaque cycle (L, M, D), par exemple à l’aide d’un « sas » de préparation d’au moins trois journées pleines présentant le cursus, les exigences, les méthodologies, etc. La systématisation du monitorat entre étudiants peut se faire au bénéfice des 2 parties ; et le tutorat des enseignants vers les étudiants doit devenir plus systématique. Tout cursus universitaire doit faire l’objet d’un curriculum de formation élaboré en amont et diffusé aux étudiants, dont l’élaboration devrait être l’occasion d’une structuration pédagogique sur l’ensemble d’un diplôme permettant une montée en complexité des enseignements (cela va aujourd’hui de soi en sciences exactes mais beaucoup moins dans les humanités). Enfin, l’évaluation devrait être réalisée sous forme d’« unités capitalisables » pouvant être préparées de manière autonome. L’acquisition de l’ensemble des unités capitalisables permet de valider un cursus. Il ne peut y avoir de compensation entre ces unités capitalisables.

 

Enfin, les premiers cycles universitaires devraient mieux incarner l’idéal pluridisciplinaire, souvent invoqué mais aujourd’hui bien peu présent, en introduisant un système de composantes mineures pouvant constituer une part significative des unités d’enseignement validées et dont une fraction devrait être obligatoirement orthogonale à la voie d’étude dominante (par exemple une langue étrangère pour un cursus de sciences exactes). Ces mineures pourraient d’ailleurs être pour partie des activités de nature diversifiée (activités associatives, responsabilités collectives dans le monde académique…).

 

22. Quelles mesures envisagez-vous pour augmenter le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur sans sacrifier la valeur et le niveau des diplômes ?

 

Une bonne partie des réponses se trouvent dans les réponses précédentes : action sociale ouvrant l’accès au supérieur à toutes les catégories de la population, lutte contre l’orientation par défaut, réforme pédagogique pour un meilleur accompagnement et souplesse des parcours.

 

23, 24, 25. Considérer les classements et les rapports à leur juste mesure

 

Les limites du classement de Shangaï sont connues : la sélection des critères n’est pas innocente et rend son exploitation très difficile, en particulier dans un pays non anglophone. Les évaluation PISA, en revanche, sont désormais d’une qualité reconnue, et leurs enseignements ne peuvent être passés par pertes et profits. En même temps, il faut les re-situer dans l’ensemble des indicateurs et des paramètres qu’elles ne permettent pas de saisir. Le principal enseignement que nous en tirons a trait aux points communs, fort ténus, des pays qui sont depuis longtemps en tête. Si, dans un contexte européen, il semble que l’absence de sélection et l’existence d’une école commune jusqu’à seize ans soient des facteurs corrélés à un bon niveau général et à des inégalités faibles, l’hypothèse se vérifie mal dans le cadre asiatique. En fait, le facteur le plus important semble être le consensus social existant autour de l’école nationale. La France souffre depuis près d’un siècle de n’avoir jamais voulu opter clairement pour un modèle d’école. Notre système scolaire vit dans l’ambiguïté d’une mission qui est définie de façon contradictoire par les différents acteurs. Il est urgent d’avoir un véritable débat national, non sur du vent et en devisant aimablement autour de questions tellement ouvertes que le ministère garde la main pour en tirer les enseignements qui l’arrangent, pas plus que sur un projet déjà verrouillé et préparé par une commission ad hoc. Il faut au contraire s’appuyer sur l’initiative exemplaire de l’Appel de Bobigny : des syndicats, associations et collectifs se coalisent pour soumettre au débat public un projet cohérent susceptible d’être débattu, critiqué et éventuellement expérimenté. La Société des Agrégés de l’Université pourrait, sur le même mode, s’entendre avec des mouvements partageant sa conception de l’enseignement pour proposer un projet concurrent, ce qui permettrait d’alimenter le débat et de sortir ainsi de l’alternative étroite entre la soumission à un projet gouvernemental et la défense du statu quo.

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