Eva Joly : « Les amis de François Hollande se sont révélés archaïques »
Eva Joly, candidate d’Europe Ecologie-Les Verts à l’élection présidentielle | | 22.11.11 |
Article paru dans le Monde, le 22/11/2011
Depuis la fin des négociations entre son parti, Europe Ecologie-Les Verts, et le PS, Eva Joly était restée silencieuse, alimentant les spéculations sur son « trouble » concernant l’accord signé entre les deux formations. Elle répond aux question du Monde dans un entretien à lire dans le quotidien daté 23 novembre.
Eva Joly en novembre 2010 à Marseille.AFP/GERARD JULIEN
Eva Joly, on vous dit « troublée », pas loin finalement de jeter l’éponge. Quel est votre état d’esprit, là, maintenant ?
Plus décidée que jamais à porter le mandat que j’ai reçu lors des primaires de mon parti. Je veux réussir le rendez-vous entre la France et l’écologie.
Noël Mamère, votre porte-parole, a dit qu’il fallait vous « protéger des discussions ». Etes-vous une candidate fragile ?
Je ne me vois pas ainsi. La violence, les accusations, les pressions, je connais, et je vis avec. Noël Mamère a voulu dire qu’une candidate à la présidentielle ne doit pas mettre les mains dans le cambouis des appareils et doit garder de la hauteur.
François Hollande est lui aussi candidat, et il est intervenu dans la négociation de cet accord…
Libre à lui. Je n’ai pas de conseil à lui donner, mais je ne suis pas sûre qu’il ait gagné à se mêler de tambouille politicienne…
On dit que vous posez beaucoup de questions. Quelles sont-elles ?
Elles se résument à une seule : comment restaurer la politique. Je ne suis pas rentrée en politique pour accepter les mœurs de ce petit monde, mais pour les changer. J’ai été outrée, scandalisée, de l’intervention d’Areva dans les discussions avec le PS. Ainsi, donc, une entreprise puissante obtenait en l’espace de quelques heures ce qu’elle voulait, c’est-à-dire le retrait, dans un texte politique, d’une disposition qui la gênait ? Toute ma vie a été construite contre ça, j’ai passé ma vie à lutter contre l’influence des lobbies, quels qu’ils soient.
N’est-il pas normal, dans une démocratie qui fonctionne, qu’Areva fasse connaître son point de vue, et ce publiquement ?
Faire connaître un point de vue est une chose. S’immiscer dans la vie démocratique pour réécrire un paragraphe d’un accord entre partis en est une autre. Au moins, agissent-ils désormais à visage découvert. Pour moi, il y a là une arrogance qui témoigne d’un certain sentiment d’impunité. Que les commentateurs n’aient pas davantage été choqués en dit long sur l’accoutumance à ces mœurs délétères. Mesurons la gravité de ce qui s’est passé. Il pèse désormais sur les socialistes le soupçon d’être du bois dont on fait les marionnettes, et on ne me fera pas croire que c’est bon pour la politique.
Vous n’avez pas été présente dans les négociations entre socialistes et écologistes, et vous n’avez pas été représentée non plus. Le regrettez-vous ?
J’ai pesé à ma manière, j’ai défendu en haussant le ton la sortie du nucléaire, l’arrêt de Flamanville, l’abandon de Notre-Dame-des-Landes. Et j’étais légitime pour le faire, non?
N’êtes-vous pas allée trop loin dans vos interventions en déclarant : « Ce n’est pas le spécialiste de la Corrèze qui va nous dicter notre politique énergétique » ?
Cette phrase doit être remise dans son contexte. Je revenais de Fukushima, et j’ai voulu dire qu’il fallait sortir de France, aller sur place, faire ce déplacement, pour comprendre que la sortie du nucléaire avait non seulement un sens, mais s’imposait à nous. Pour moi, c’est un impératif moral, pas une question technique ou politicienne.
L’accord signé entre votre formation et le PS vous a-t-il déçue aussi dans son contenu ?
Cet accord ne me fait pas rêver. On a listé nos désaccords, sur l’EPR, la sortie du nucléaire, Notre-Dame-des-Landes, la réduction des déficits. Les négociateurs écologistes ont fait de leur mieux. Mais la vérité, c’est que les amis de François Hollande se sont révélés archaïques face à la modernité de notre projet. Face à ces blocages, mon travail plus que jamais sera de convaincre les Français.
Vous expliquez que vous portez le projet écologiste, tandis que Cécile Duflot a fait la « tambouille politicienne », selon votre expression. Ne s’agit-il pas là d’un habile partage des rôles, qui vous permet de récupérer les voix de tous ceux qui ne sont pas enthousiasmés par cet accord ?
Ce n’est pas une mise en scène, Cécile est une négociatrice aguerrie qui sait gérer ce genre de rapport de force. Moi je défends une politique de civilisation. Je vais parler de sortie du nucléaire, bien sûr, et je crois que nous gagnerons cette bataille dans les urnes. Je vais aussi parler des valeurs, du rétablissement dans notre pays d’une « République exemplaire », car la France est abîmée sur ce plan. Je parlerai aussi de la question sociale et de la crise : l’austérité n’est pas une fatalité. Et ce n’est pas aux pauvres de la payer. C’est une question de responsabilité politique : sans justice sociale, la violence gagnera ce pays.
Les écologistes ont de sérieuses difficultés financières. Aurez-vous l’argent nécessaire à une campagne ?
Ce qui m’étonnera toujours, c’est le poids que peut avoir l’argent dans la vie politique. Les écologistes sont depuis toujours une force indépendante et qui dispose de faibles moyens. Nous parviendrons néanmoins à disposer de 2 millions d’euros. C’est peu, mais avec l’énergie militante, les dons de milliers de personnes, nous pouvons mener une campagne citoyenne, sobre et inventive, dont on se souviendra.
Vous revendiquez votre liberté, celle de défendre une certaine éthique. Mais aurez-vous celle d’attaquer votre partenaire socialiste sur ces questions, quand bien des dirigeants de votre parti rêvent désormais d’être ministre ?
L’exigence éthique ne distingue pas entre la droite et la gauche : elle s’impose à tous. Je ferai donc en sorte que ce soit… équilibré ! Par exemple, ce n’est pas parce qu’il est de gauche que je ménagerai le système mis en place par Guérini à Marseille. Mais je sais où sont mes adversaires. Ne craignez rien, je ne risque pas d’oublier Nicolas Sarkozy, j’aurai sur lui et son clan bien des choses à dire durant toute la campagne. Je ne me tairai pas, car je ne suis pas une femme sous influence.
Propos recueillis par Anne-Sophie Mercier
Article paru dans le Monde, le 22/11/2011