Intervention de Mickael Marie au meeting unitaire de la gauche contre la réforme des retraites le 13 octobre 2011

Personne, ni ici ni dans les manifestations qui ont éclairé notre pays ces dernières semaines ; personne ne dit qu’il n’y a pas de problème, et qu’il s’agit de ne rien faire, qu’il faudrait surtout ne rien changer. Et personne, ni ministre ni Premier Ministre ni même le Président de la République, ne peut s’autoriser à dire le contraire.

Car il n’y a pas d’un côté ceux qui seraient responsables, courageux et réformateurs et de l’autre ceux qui seraient incapables de changement, qui s’accrocheraient à des rêves insurmontables.

Il n’y a pas d’un côté ceux qui savent compter, et de l’autre ceux qui refusent de compter.

Et il n’y a pas d’un côté ceux qui accepteraient de se frotter à la dure réalité et de l’autre ceux qui voudraient fermer les yeux.

Ce qu’il y a, par contre, c’est deux visions, deux ambitions, deux lectures tout à fait différentes de ce qu’il faut changer. Et deux visions, tout aussi différentes, de ce qui doit être conservé.

Et quand je parle de conserver, de sauver même ce qui est aujourd’hui attaqué, j’entends bien la petite musique de la droite (et, hélas, hélas, pas seulement de la droite, parfois). Cette petite musique qui dit que nous, les millions de manifestants du 23 juin, du 7 septembre, du 23 septembre, du 2 et du 12 octobre, et les millions de manifestants que nous espérons samedi prochain, nous serions donc accrochés, désespérément accrochés au passé, alors qu’ils seraient eux, de plein pied dans la modernité.

Et bien, puisqu’ils pensent qu’ils sont modernes, ce qui signifie pour eux mépriser le passé, parlons du passé.

Parlons de l’invention de la retraite, et tâchons de nous rappeler pourquoi on a mis en place ce régime de retraites que nous défendons aujourd’hui, et tâchons aussi de nous rappeler ce qu’était la vie avant.

Rappelons-nous le programme du Conseil National de la Résistance, qui affirmait l’union des forces de la Résistance pour libérer le territoire.

Et qui voulait, dès la Libération, « promouvoir les réformes indispensables ». Parmi ces réformes, on pouvait lire : « le droit au travail et au repos », « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » et « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

Mon grand-père est né en 1914.

A la Libération, il avait à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui.

Il avait déjà vécu une part suffisante de sa vie dans un monde où ni la sécurité sociale, ni la retraite, ni véritablement le droit au repos n’existaient pour savoir le prix de ces avancées là. Il était gaulliste, il l’est encore. Il était paysan et n’a jamais été de gauche. Mais lorsqu’on lui demande, de tous les bouleversements qu’il a connus, lesquels ont selon lui le plus compté, le plus apporté, le plus « changé la vie » des gens, il parle de la sécurité sociale et de la retraite. De ces avancées sociales qui ont permis véritablement de protéger les travailleurs « dans tous les cas où ils sont incapables de se procurer par le travail » la sécurité, la dignité et « la possibilité d’une vie pleinement humaine ».

Ce sont encore les mots du Conseil National de la Résistance, et c’est parce que nous avons encore ces mots en mémoire, et les aspirations et les ambitions qu’ils portaient, que nous continuerons de nous battre.

Parce que cette réforme n’est pas d’abord un sujet économique, un sujet de chiffres et d’équilibre des comptes. Elle l’est aussi, bien sûr, et il faut regarder les chiffres. Mais il faut toujours se souvenir que derrière ces chiffres, derrière les millions d’euros et les milliards d’euros, il y a des visages. Des personnes. Des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes. Pour lesquels le droit à la retraite est une « ligne de vie », comme le disait au Sénat Pierre Mauroy il y a quelques jours. Pour lesquels le droit au repos, la possibilité de ne pas finir épuisé au travail est une conquête, une conquête inaliénable.

Ce n’est pas d’abord une affaire de chiffres, car s’il ne s’agissait que de cela, il y aurait bien d’autres solutions à mettre en œuvre que celles proposées par le gouvernement.

C’est une affaire de vision de ce qui est juste, et de ce qui ne l’est pas.

De ce qui est un droit, et de ce qui ne l’est pas.

Et c’est un sujet, même, de civilisation.

De ce que nous voulons faire de nos vies, de ce que nous voulons avoir le droit de faire de nos vies.

Il y a un projet de droite, qui consiste à dire que le temps que nous gagnons sur la mort, le temps de vie qui s’allonge, nous devons entièrement le passer au travail, le compenser au travail comme s’il fallait être punis de vivre mieux, et de vivre plus vieux.

Et il y a un autre projet, une autre manière de regarder les choses, qui consiste à penser que l’objectif premier n’est pas de travailler, mais de conquérir la « possibilité d’une vie pleinement humaine ». S’il faut travailler pour cela, tout le monde est prêt à le faire, et il y a suffisamment de gens qui cherchent et attendent un emploi, et souffrent de ne pas en avoir, pour le prouver.

Mais le travail est un moyen, pas la finalité ultime de nos vies. Le temps que nous gagnons sur la mort, nous ne devons pas l’épuiser dans le travail, mais dans le droit au temps libre, à la vie pour soi et pour les autres, pour le plaisir.

Le gratuit, le non-marchand, ce qui ne se vend pas et ne s’achète pas, le don, l’échange, les relations interpersonnelles, le bénévolat, le militantisme.

Ce qui a été inventé avec le droit à la retraite, et qui doit être défendu, poursuivi et amplifié, c’est cette belle idée qu’on ne peut pas mesurer la dignité de quelqu’un à la mesure de ce qu’il gagne ou de ce qu’il rapporte.

Et cela, c’est vrai, est insupportable pour les ministres de ce gouvernement, et pour ce Président de la République, qui ne parle que d’argent, de luxe et de verroterie bling-bling.

Et tout cela est insupportable pour des gens qui pensent qu’on a réussi sa vie parce qu’on a une Rolex au poignet.

Tout cela, au fond, est insupportable pour des gens qui confondent l’économie avec un casino, et la vie collective avec une guerre économique permanente, une guerre de tous contre tous, où la plupart perdent à tous les coups, et où seule une très petite minorité s’en sort.

Alors nous sommes tous et toutes d’accord ici pour refuser cette réforme.

La question qui nous est posée, c’est de savoir si nous sommes capables pour autant de nous mettre d’accord sur un autre projet, sur une autre réforme.

Je ne le sais pas.

Je sais que nos aspirations, nos analyses, nos priorités sont parfois différentes. Alors je ne suis certain de rien. Mais je sais que nous devons le tenter, tenter de construire un compromis entre nous, et ne pas avoir honte de ce mot de compromis. C’est Gandhi qui parlait de la beauté du compromis, et il ne manquait pas de détermination.

Le programme du Conseil national de la Résistance était, lui aussi, un compromis.

La beauté du compromis, c’est que quelque chose soit fait. Nous savons qu’il est impossible de ne rien faire, mais nous savons aussi qu’il y a beaucoup d’autres choses à faire que ce qui est proposé par ce gouvernement.

Et nous savons que ce compromis ne sera pas simple, et que pour que quelque chose soit fait, il faudra beaucoup d’efforts aux uns et aux autres pour se mettre d’accord.

Mais si nos grands-parents, nos arrière grands-parents, ont eu assez de force et de courage, au sortir d’une guerre qui avait détruit ce pays, pour construire la retraite et la sécurité sociale, nous devons être capables d’au moins assez de force et de courage pour conserver leur invention, pour sauver l’idée et la générosité qui animaient cette invention.

C’est la meilleure façon de prolonger leur action. En faisant comme ils l’ont fait, avec le même souci qu’ils avaient de celles et ceux qui, au delà d’eux-mêmes, et pour nous au delà d’aujourd’hui, venaient après eux, et viendront après nous.

Mickaël Marie Secrétaire national adjoint des Verts Président du groupe des élus Europe Ecologie au conseil régional de Basse-Normandie

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