Le bilan de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1

L’échec d’une conception autoritaire de la santé publique

Il faut se demander aujourd’hui, à tête reposée, pourquoi la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 a été un tel échec, sur tous les plans. Quand on sait à quel point le Ministère de la santé en a fait une priorité et combien la Direction Générale de la Santé est mobilisée sur cette question et que, néanmoins, plus de 90 % de la population n’est pas vaccinée, c’est bien le bilan de la politique de santé menée par Roselyne Bachelot qu’il faut faire.

Pourtant, on peut se réjouir du fait que l’épidémie de grippe H1N1 soit beaucoup moins agressive que certains ne le redoutaient. Et on ne peut pas critiquer a priori l’idée d’appliquer le principe de précaution, tant réclamé par Les Verts. Alors où est l’échec ?

Il y a échec de la politisation de la question de santé publique.

On a vu la Ministre dans les médias presque quotidiennement depuis le mois d’août, d’abord pour nous convaincre que le gouvernement n’était pas en vacances comme il y a quelques années, lors de la canicule, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la réflexion scientifique ; puis pour dramatiser le risque afin de donner davantage d’importance à son rôle ; enfin, pour se retrouver dans le piège qu’elle avait elle-même créé en s’arc- boutant pour justifier le plus longtemps possible les décisions qui avaient été prises afin de ne pas perdre la face. En outre, malgré tant de communication, le contenu exact des contrats passés avec l’industrie pharmaceutique et le coût de cette campagne n’ont pas fait l’objet de la plus grande transparence…

Il y a échec de la centralisation.

La réflexion a été menée en milieu très fermé, dans des conclaves parisiens, considérant que les décisions prises doivent s’appliquer de façon descendante, tous les professionnels et tous les citoyens devant obéir et se comporter selon les ordres, comme à l’armée. Les médecins généralistes, qui ont pourtant la confiance de leurs patients, n’ont pas été jugés assez sûrs pour être associés. La suite a prouvé que ce n’est pas la meilleure manière de motiver les « troupes » ! On a dû réquisitionner les professionnels ; pas (encore ?) les citoyens ?

Il y a échec de la manipulation..

…car le poids de l’industrie pharmaceutique a été démesuré : l’expertise a été largement assurée par les marchands de vaccins et ils ont obtenu des clauses exorbitantes tant en termes de prix – on paie les vaccins beaucoup plus cher en France qu’en Angleterre ou en Allemagne – qu’en termes d’exonération de responsabilité en cas d’effets toxiques, les vaccins étant fort peu testés avant la production de masse. L’avis des scientifiques indépendants n’a pas été pris en compte.

Il y a échec de l’idéologie…

…car depuis beaucoup d’années la question des vaccinations est traitée, en France, davantage comme un combat idéologique que comme un débat scientifique. Les experts invités dans les médias se sentent investis d’une tâche de propagande, expliquant que ce sont les vaccins qui ont sauvé les populations des maladies infectieuses, alors que le premier facteur qui a fait reculer les épidémies du passé est en réalité les conditions de vie : hygiène de l’eau, logement, amélioration de l’alimentation ; idéologie, encore, quand ils minimisent les risques de complications et d’effets toxiques en expliquant doctement qu’on n’a pas la preuve, chez la personne qui fait l’actualité, que telle maladie est due au vaccin, alors que, d’une façon générale, dans ce domaine, les connaissances ne sont pas individuelles mais épidémiologiques. Ce manque de rigueur des experts, coïncidant avec les pressions des lobbys, entretient la réaction d’un courant anti-vaccination, au positionnement tout aussi idéologique.

Il y a échec de la réflexion globale de santé publique…

…car le budget consacré à cette seule vaccination – près de 2 milliard d’Euros – est astronomique au regard de l’ensemble des autres actions de santé publique et au regard du fait que les parents pauvres restent la santé environnementale et l’éducation pour la santé tandis que les maladies modernes sont principalement liées aux pollutions de l’environnement et aux modes de vie.

Mais, derrière ces constats, pointent des questions plus fondamentales.

Il reste à éclaircir des points qui font problème et qui justifient largement le lancement d’une commission d’enquête parlementaire.

La décision d’envoyer une fiche de vaccination aux populations prioritaires est prise, semble-t-il, par la sécurité sociale, c’est-à-dire sur la base d’un dossier administratif puisque ni le médecin ni le malade ne sont consultés, alors qu’il s’agit d’une décision médicale. Il faudrait faire préciser par qui est faite la sélection des personnes à vacciner en priorité et sur quels critères Ce transfert de la médecine à l’administration ne semble guère déontologique car il ne respecte ni le médecin ni le patient et représente une atteinte à la confidentialité et aux libertés auxquelles nous sommes attachés en démocratie. De plus, des exemples montrent des failles de la méthode : cas réel, une personne ayant fait une pleurésie devrait représenter une personne à risque mais, ne prenant pas de traitement habituellement, elle n’a pas été repérée est donc pas convoquée pour la vaccination.

L’entretien avec un médecin avant vaccination a pour but de connaître les antécédents médicaux de la personne afin de diagnostiquer une éventuelle contre- indication, et de choisir le type de vaccin adapté à cette personne. Combien de temps, exactement, dure ce type de consultation quand il y a une file d’attente ? Ne risque-t-on pas de passer à côté d’une information importante ?

Ne serait-il pas beaucoup plus efficace de compter sur le médecin traitant, qui connaît la personne, son histoire et souvent sa famille pour faire le point sur les antécédents ? De même, quand il s’agit de vacciner les personnes fragilisées par leur maladie chronique ou leur grand âge, on sait bien que certaines ont des difficultés à se déplacer. Dans ces conditions, est-il indispensable de leur faire faire la queue dans un gymnase plutôt que de confier la vaccination à leur médecin généraliste qui les verra en consultation, voire à leur domicile, s’ils ne peuvent pas se déplacer ? La réponse à ces questions étant évidente, il faudrait préciser les vraies raisons qui ont motivé la décision de court-circuiter les médecins généralistes. L’enjeu est important car on a essayé de faire passer leur revendication de bon sens pour une défense corporatiste. S’ils ne sont pas toujours exempts de corporatisme, il faut reconnaître que, dans ce cas précis, leur revendication recouvre l’intérêt de la population et de la santé publique. Il ne s’agit pas pour l’État de faire des économies, puisque les centres de vaccination ont nécessairement un coût, eux aussi. Faudrait-il en conclure qu’on n’avait pas confiance dans les médecins pour être aux ordres de l’administration ?

Il faudrait également préciser qui est habilité à choisir le type de vaccin à injecter à chaque personne. Entre vaccin avec adjuvant et sans adjuvant, entre vaccin à virus fragmenté ou à virus entier, il semble que les risques ne soient pas les mêmes, les coûts non plus… Est-il prévu que le patient soit informé et puisse donner son avis sur cette question comme le prévoit, en particulier, la loi de 2004 sur le sur les droits des patients ?

Il faut également vérifier que les listes d’experts et leurs déclarations d’intérêts sont consultables, pour limiter les conflits d’intérêts, ce qui ne semble pas être le cas…

Pour notre part, nous en restons à l’avis des experts indépendants. Nous avons la chance d’avoir en France une équipe compétente qui fait le tour de la littérature mondiale et qui publie ses conclusions sur des bases scientifiques, dans sa revue intitulée « Prescrire ». C’est la seule revue d’information médicale qui n’est pas financée par la publicité des laboratoires pharmaceutiques. Or, la synthèse de Prescrire propose de vacciner les populations fragilisées par une maladie chronique ou par le grand âge, comme on le fait chaque année pour la grippe habituelle. Cette attitude scientifique pondérée à des conséquences importantes sur l’organisation de la vaccination car les populations concernées sont particulièrement suivies par leur médecin généraliste, ce qui inciterait plutôt à privilégier la vaccination par les médecins généralistes ou les infirmières des « Maisons de Santé »..

Mais, qu’on ne s’y trompe pas, l’enjeu du débat n’est pas d’abord technique mais démocratique. Cette campagne est d’abord l’échec du pouvoir central face aux citoyens quand il se donne l’illusion que l’efficacité est dans un « pouvoir fort », même au risque de restreindre les libertés démocratiques. Elle est l’échec du mépris des réseaux sociaux, dont celui de la médecine générale, alors qu’ils ont eu plus de poids auprès des citoyens que les consignes autoritaires, les spots de communication et les informations télévisées. On se croirait au 19ème siècle, ou la santé publique etait une intervention de police et où il n’y avait pas de Ministère de la Santé. Cette campagne est l’échec d’une conception « militaire » de la santé publique, où la situation « de guerre » contre le virus justifierait de passer outre les libertés, les réseaux sociaux et le respect des citoyens. Le général Bachelot a perdu « sa bataille ».

De ce point de vue, c’est plutôt une bonne nouvelle !

Reste à mettre en place une nouvelle santé publique basée sur la responsabilisation des citoyens, la décentralisation, les réseaux sociaux et l’expertise indépendante.

C’est la conception de l’action de santé que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a désigné par le terme de « Promotion de la santé » et que la charte internationale définit comme le processus qui donne aux populations un plus grand contrôle sur leur propre santé. Dans cet esprit, l’action de santé auprès de la population ne repose plus d’abord sur la décision autoritaire, mais sur l’éducation pour la santé.

L’enjeu porte sur les rapports entre le pouvoir, les citoyens et les lobbys. Pour construire une politique qui concerne chaque personne, faut-il compter sur le pouvoir central ou sur la responsabilisation des citoyens et des professionnels de terrain ? Pour construire une politique de santé publique, faut-il s’appuyer en priorité sur les lobbys proches du pouvoir ou sur l’expertise de scientifiques indépendants ?

Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour construire une politique de santé. Pour les verts, le choix est clair. Nous voulons une autre santé publique, dans une autre société, plus démocratique. Puissent les citoyens se souvenir de la leçon. Les Verts sont prêts à montrer qu’une autre politique de santé est possible.

Jean-Luc VERET, Président de la Commission Nationale Santé des Verts

Remonter