Discours d’Eva Joly à Alizay sur le Pacte écologique pour l’emploi

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Cher-e-s ami-e-s,

Je vous ai donné rendez-vous aujourd’hui sur ce site, non pas par anecdote ou comme on ferait la tournée des usines, pour vous réunir au milieu d’un atelier. L’usine d’Alizay dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui a une histoire : un passé, un présent et, j’en suis persuadée, un avenir. Je suis venue vous parler de son avenir, de notre avenir.

L’endroit où nous nous trouvons est une usine qui abrite l’une des plus grandes machines de fabrication de papier d’Europe. Le savoir-faire des salariés n’est plus à démontrer. Pourtant, fin 2009, la société M-real a fermé les ateliers de production de pâte à papier du site d’Alizay et le 4 mai 2011, ce groupe Finlandais a annoncé vouloir fermer définitivement tous les ateliers de production de papier encore en exploitation.

550 emplois pourraient disparaître dans une vallée déjà très touchée par le chômage. De nombreuses solutions ont étés proposées, mais la société M-real n’a rien voulu entendre. Le site d’Alizay est rentable, mais M-real préfère regrouper ses activités ailleurs et fermer ce site pour empêcher toute concurrence.

Pourtant à quelques kilomètres d’ici, la raffinerie Pétroplus est en train de fermer ses portes. Si nous engagions la transition écologique, nous aurions dès demain les moyens de produire ici des agrocarburants de nouvelle génération qui correspondraient à 20% de la capacité de production de Pétroplus.

Ce projet de renouveau industriel, des investisseurs sont prêts à la financer et les salariés sont désireux de le soutenir. Pour tous c’est l’avenir. Mais pas pour la société M-real qui refuse de vendre cette usine et préfère la laisser mourir. Je propose de réformer le droit français pour permettre, dans des situations exceptionnelles comme celle-ci, de pouvoir obliger un actionnaire qui refuse de vendre à vendre quand même, au prix de marché bien sûr.

On a dit aux salariés de M-real et à ceux de Pétroplus qu’il n’y avait plus rien à faire. Moi je leur dis : vous n’avez pas besoin de fausses promesses, de grandes déclarations ou d’incantations : vous avez déjà un avenir !

 

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Une société qui n’assure pas à chacun un emploi et un revenu décent est une société qui a fait son temps. Un nombre croissant et très important d’entre nous ont peur, pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leurs enfants et petits-enfants, pour leurs proches. Ils sont angoissés par la montée du chômage et le glissement vers la précarité.

Après cinq ans de présidence de Nicolas Sarkozy, davantage de Françaises et de Français sont sans emploi, et davantage travaillent plus et plus durement, pour gagner moins.

Quand j’écoute un travailleur qui me dit comment son usine a fermé, je me souviens de tous ces hommes et ces femmes, que j’ai soutenus et pour lesquels je me suis battue il y a 20 ans lorsque j’étais secrétaire général adjoint du Comité interministériel de restructuration industrielle, et que je me battais pour que des emplois soient sauvegardés. Il n’y a pas de fatalité au chômage.

Le 14 juillet 1993, François Mitterrand, résigné, déclarait : « En matière de lutte contre le chômage, on a tout essayé ». Et bien, près de vingt ans plus tard, je le dis : non, nous n’avons pas tout essayé.

Pendant trente cinq ans on a poursuivi des mirages et des impasses : l’espérance vaine d’une croissance retrouvée, l’illusion de la flexibilité du marché du travail, l’abaissement du coût du travail. Le « traitement statistique du chômage » consistant à radier temporairement ou définitivement les chômeurs.

En la matière Nicolas Sarkozy a échoué : « travailler plus pour gagner plus » est devenu « chômer plus pour gagner moins ». Les derniers chiffres du chômage signent la faillite de la droite au pouvoir. Non, vraiment, tout n’a pas été essayé et notamment pas la conversion de l’économie à l’écologie. Une solution qui marche pourtant ailleurs.

 

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La France doit se doter enfin d’une vision stratégique sur l’emploi au lieu de répondre toujours trop tard et mal, au coup par coup. Notre vision n’est pas une illusion. Les mesures en sont chiffrées ; elles sont structurées autour de deux axes clés : l’économie verte et le vivre-mieux.

J’ai tenu à présenter le volet concernant la transition écologique de l’économie de mon Pacte écologique pour l’emploi quelques jours avant le sommet social décrété par Nicolas Sarkozy, qui est l’exemple même d’une politique de coups sans lendemain, d’effets d’annonce non suivis de faits tangibles, d’esbroufe et surtout, surtout, de fausse concertation.

Pendant longtemps écologie et emplois ont semblé s’opposer. Nous savons aujourd’hui que cela est faux. L’Allemagne ou encore le Danemark le montrent: ce qui est bon pour la planète est bon pour l’emploi. Le Pacte écologique pour l’emploi que je vous propose aujourd’hui repose sur cinq piliers :

 

1) Tout d’abord, d’ici 2020, nous pouvons créer 1 million d’emplois. Il ne s’agit pas d’une promesse en l’air, nous avons chiffré et mesuré l’impact de la transition écologique de l’économie. Ma priorité, c’est de montrer qu’en France, créer de l’emploi, oui c’est possible.

Un million d’emplois, c’est faire le choix de la transition énergétique, des énergies renouvelables et des économies d’énergie !

Un million d’emplois, c’est choisir une agriculture paysanne qui permette une alimentation de qualité pour tous !

Un million d’emplois, c’est offrir un logement décent à chacun en construisant 100 000 logements de plus par an !

Un million d’emplois, c’est offrir une place de crèche à tous !

Un million d’emplois, c’est organiser une prise en charge solidaire de la dépendance.

Un million d’emplois, c’est prendre un engagement national en faveur de l’économie sociale et solidaire, doté d’une loi-cadre et de fonds d’investissements locaux et régionaux.

M. Proglio avait fait de nous des adversaires de l’emploi, nous montrons aujourd’hui que nous sommes les seuls à ouvrir le chemin pour véritablement créer de nouveaux emplois. Ces chiffres sont précis et calculés dans le dossier de presse que vous avez entre les mains.

Ces emplois ne se créent pas de manière spontanée, mais par un investissement sur l’avenir. Ces emplois ne tomberont pas du ciel. Mais ils viendront de nouvelles politiques publiques. En somme, au lieu de dire comme notre président actuel, « l’environnement ça suffit », faisons dès aujourd’hui le pari de répondre aujourd’hui à l’urgence écologique,

 

2) Le deuxième pilier de mon pacte, c’est le plan de développement pour les entreprises locales. Mon engagement, c’est une économie de la proximité. Nous voulons créer des emplois durables et non délocalisables, pas des emplois jetables et précaires que l’on élimine du jour au lendemain. Je veux permettre à chacun d’avoir accès à un emploi à côté de chez lui et non pas de devoir s’exiler à des kilomètres de son domicile pour pouvoir nourrir sa famille.

C’est pour cela que je propose à la fois un plan de développement pour les entreprises locales, avec une fiscalité soutenant les TPE/PME et les entreprises locales et écologiques ; des mesures de soutien à l’innovation et à la recherche dans les PME ; la responsabilisation des administrations publiques vis-à-vis des PME comme l’application stricte des délais de paiement pour l’administration elle-même, l’Etat et les collectivités ; et l’aide à l’installation des artisans débutants.

 

3) Je veux protéger les salariés et les entreprises de la logique financière. À la logique de la rentabilité et du court terme, je veux faire succéder l’impératif de la durabilité et du long terme.

Les salariés doivent avoir toute leur place dans la décision. C’est pourquoi je veux rénover le dialogue social en donnant, dans les entreprises de plus de 500 salariés, la moitié des sièges dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance aux représentants des salariés. Cela existe dans un petit pays exotique que j’ai déjà cité quand j’ai parlé du blocage des loyers. Ce petit pays exotique, c’est l’Allemagne.

Ainsi, nous pouvons être certains qu’ils ne seront pas otages de la décision de quelques actionnaires, qui ne regardent une activité qu’à la taille de ses dividendes.

 

4) Ensuite, je veux proposer aux Français-es de travailler mieux pour travailler tous. Je sais que cette proposition apparaît comme inhabituelle, mais cinq ans après le « travailler plus pour gagner plus », que les Français ont-ils gagné à part du stress, de l’angoisse et du chômage ? Je veux dire ici qu’un travail de qualité, c’est un droit pour tous les citoyens mais c’est aussi une chance pour chacun de conserver son emploi.

C’est pourquoi je veux que nous donnions à tous les salariés un droit d’opposition à toute mesure d’organisation du travail qui pourrait mettre en danger la santé au travail.

Je veux ouvrir un dialogue national sur le partage du temps de travail qui passe par la baisse de la durée collective du temps de travail, et donc la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et l’augmentation de leur rémunération. Si nous devons en finir avec le détricotage des 35 heures, nous devons mettre en place des processus de concertation sur la RTT par branche, qui impose la création d’emplois. Je relancerai la négociation sur la réduction du temps de travail tout au long de la vie, dès 2012.

Il ne s’agit pas de s’engager dès aujourd’hui pour les 32 heures partout, mais d’ouvrir un débat national pour que nous refusions de toujours travailler plus pour gagner moins. Refuser d’explorer cette voie, c’est faire de l’idéologie. Moi, je suis pragmatique.

 

5) Je veux mettre en place une préférence sociale et environnementale. Pour moi ça n’est pas la nationalité qui compte, c’est la qualité. Quelle ironie de voir ceux qui étaient hier les défenseurs de l’Europe, ne parler plus dans cette campagne que de nationalité.

La qualité, c’est la proximité.

La qualité, c’est le respect des normes environnementales.

La qualité, c’est de contribuer à lutter contre le dérèglement climatique.

La qualité, c’est le respect des droits sociaux.

La qualité, c’est le respect de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Cette préférence je la porte en Europe et nous gagnons du terrain. Déjà l’Europe est en train de se convertir à la réciprocité dans les échanges commerciaux. Mais cette préférence sociale et environnementale peut s’appliquer dès maintenant sur notre territoire.

Je mettrai en place une éco-conditionnalité des aides publiques : pas un euro d’argent public ne doit aller à une entreprise qui ne respecte pas les meilleures exigences environnementales, ou ne garantit pas de véritables droits sociaux dans l’entreprise. C’est à l’État d’être exemplaire, lorsqu’il s’agit de ses citoyens !

 

Je demande à ce que ces propositions soient versées au sommet social de la semaine prochaine. Je rencontrerai les organisations syndicales à ce sujet dans les prochains jours ; parce que ces mesures ne peuvent pas être appliquées sans que des États généraux de la transformation écologique de l’économie soient mises en oeuvre, pour vérifier secteur après secteur combien nous pouvons créer d’emplois et combien nous allons en perdre.

Je sais déjà que dans l’industrie automobile et dans l’industrie nucléaire, et vous pouvez le vérifier dans ma proposition de Pacte, le processus de reconversion ne débouchera pas sur la destruction massive d’emplois. Bien au contraire, anticiper l’avenir dans ces secteurs nous empêchera de connaître le destin de la sidérurgie dans les années 1980. Je ne laisserai pas la pétrochimie et le raffinage finir comme la sidérurgie. Je ne dirai pas aux salariés de ces secteurs : « prends ton chèque et tais-toi ».

 

Personne ne doit rester au bord du chemin. Le chômage, c’est aussi une injustice qui mine les principes sur lesquels se construisent une société et un État. Lorsque l’État ne remplit plus ses obligations, lorsque la République ne protège plus et abandonne les citoyens en les laissant seuls face à la loi du marché, ceux-ci abandonnent la République.

La montée du Front national ne s’explique pas sans le chômage de masse et l’exclusion. C’est ce qui s’est passé depuis des dizaines d’années sous les gouvernements de droite ou de gauche.

C’est pourquoi il faut que nous changions de perspective , que nous changions de modèle de développement, que nous changions d’économie. C’est pour cela que nous devons en même temps que faire baisser le chômage, améliorer la qualité de l’emploi en faisant reculer la précarité, en assurant une formation tout au long de la vie et en combattant les discriminations qui existent sur le marché du travail envers les jeunes, les femmes, les moins qualifiés et les seniors.

Pour les écologistes, la dignité est la valeur suprême. La dignité humaine est atteinte par le chômage. La perte de son emploi est non seulement un drame humain, mais une amputation pour toute la société.

 

C’est pour cette raison que nous ne devons pas baisser les bras, que je ne baisserai pas les bras. Je suis triste de voir mon pays rater le train de la nouvelle révolution industrielle écologique.

Ce que je veux dire aux Français, c’est que oui, c’est possible. Nous n’avons pas tout essayé, il existe un espoir, un chemin. Un chemin que d’autres pays empruntent avec succès. Pourquoi pas la France ?

Alors en 2012, votons juste, votons utile pour l’emploi et la planète, pour que demain ne soit plus comme avant.

Je vous remercie.

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